Les comptabilités alternatives
La comptabilité est (elle aussi) politique ! Si l’on veut mesurer objectivement l’impact des actions des tiers-lieux, prendre conscience des choix destructeurs, adopter des mesures adaptatives et régénératrices en conséquence, il apparaît primordial de pouvoir les quantifier. Si tout est politique, la comptabilité, représentant la valeur que nous voulons donner aux choses, l’est plus que tout.
Cet article s'appuie sur l'article d'Amandine LARGEAUD : "Changer le logiciel ou changer les imaginaires, faire évoluer la mesure d’impact. La comptabilité multi capitaux, the new black ?"[1]
Pourquoi des comptabilités alternatives ?[modifier | modifier le wikicode]
La comptabilité est politique : « Il n’y a pas besoin d’être un grand spécialiste du sujet pour se rendre compte que, malgré les velléités affichées de sobriété, les entreprises dont les activités sont les plus destructrices pour la planète et qui traitent le moins bien leurs salariés sont celles dont les résultats économiques sont les plus positifs. Si ces entreprises peuvent à l’heure actuelle être montrées comme des exemples de productivité et de réussite, c’est en grande partie lié au modèle comptable majoritairement utilisé, qui ne rend compte que du volet financier des activités. Si tout est politique, la comptabilité, représentant la valeur que nous voulons donner aux choses, l’est plus que tout. »
Les choix en termes de comptabilité sont culturels et agissants : « La comptabilité constitue un des fondements des coordinations et coopérations organisationnelles dans les sociétés humaines. Les systèmes comptables ne sont pas neutres : chaque civilisation a développé le sien, en mobilisant ces fonctions comptables de façon différente selon sa culture, son système de valeurs, sa vision de l’économie et du monde. Et ces systèmes ont participé à instituer et développer opérationnellement ces sociétés, et ont influé sur l’architecture des activités humaines s’y développant. »
Exemple concret : « Le modèle comptable utilisé à l’heure actuelle est un modèle ne mesurant que le capital financier d’une entreprise. Cette visualisation du capital a un impact très fort au quotidien. Un exemple concret : Cela permet à une tranche de jambon industriel d’être très compétitive dans les rayons des supermarchés et d’être un produit de choix pour les consommateurs (d’autant plus en cette période de baisse du pouvoir d’achat), alors que : le mode de production pollue les sols (destruction des écosystèmes), le mode d’élevage maltraite les êtres vivants non-humains (souffrance animale), l’usage des nitrites provoque des cancers (destruction des humains et poids sur les systèmes de santé), les salariés subissent des conditions de travail très précaires (atteinte aux humains). Son prix final ne reflète pas, avec les méthodes comptables actuelles, le coût réel de l’activité de l’entreprise sur la société (coût environnemental et social) et crée même une distorsion de concurrence avec les producteurs locaux et bios. »
Voir : https://seminaire-transition.minesparis.psl.eu/wp-content/uploads/2021/02/132_Fiche_care.pdf
La comptabilité multicanaux ou en triple capital : une nouvelle approche[modifier | modifier le wikicode]
Nouvelle approche : « Une nouvelle approche, la comptabilité multicapitaux ou en triple capital propose de s’aligner avec les trois piliers du développement durable et d’indiquer la performance globale de l’entreprise autour de trois thèmes : l’humain ou le social, l’environnement et l’économique. Il s’agit alors d’évaluer la valeur créée ou détruite par l’entreprise via ses activités autour de ces trois thèmes. L’objectif de la comptabilité en triple capital est de remettre les enjeux environnementaux et sociaux au cœur de l’entreprise, de leur accorder la même valeur que les enjeux liés aux capitaux financiers. »
Expérimentations et modélisations en cours : « Le principe de la comptabilité triple capital fait l’objet de diverses modélisations dont certaines sont déjà expérimentées par des entreprises d’envergure variable (dont LVMH à travers la chaire de comptabilité environnementale d’AgroParisTech-Paris Dauphine). On peut, entre autres, citer trois de ces modèles, conçus et développés en France : la comptabilité Universelle (Cabinet Saint-Front) liée à la monétarisation des actions RSE, Le modèle LIFT et le modèle CARE. »
Le modèle CARE et son développement[modifier | modifier le wikicode]
Modèle CARE : « Expérimenté depuis presque 10 ans, le projet CARE (Comprehensive Accounting in Respect of Ecology) {…} correspond à un « cadre conceptuel » comptable, explorant scientifiquement la convergence entre comptabilité et enjeux de préservation écologiques. La méthode CARE s’oppose aux méthodes dans lesquelles les capitaux sont perçus comme une richesse disponible et productive sans fin : les capitaux sont des emprunts faits auprès des ressources planétaires qui, si elles sont dégradées, doivent être remboursés et non pas compensés. La méthode s’appuie sur des seuils, scientifiquement et collectivement validés. {…} Dans ces conditions, chaque emploi est à la fois un support de productivité et une dégradation des capitaux employés. La notion d’emploi (donc d’actif) rend possible de lier intrinsèquement « création de valeur » et « dégradations écologiques », pour mener une analyse méthodique de ces liens. Une soutenabilité forte du modèle exige que chaque capital soit étudié individuellement et sans compensation.
Ainsi, en conséquence, selon CARE, une entreprise ne peut calculer son profit qu'une fois le "remboursement" de sa dette écologique, envers ces capitaux naturels et humains, garanti, comme elle le fait déjà pour ses capitaux financiers. »
Application aux tiers-lieux[modifier | modifier le wikicode]
Intérêt : « CARE et plus largement les comptabilités alternatives encouragent déjà les acteurs économiques à réinterroger leurs modèles économiques, définir leurs impacts sociaux et environnementaux et identifier des leviers d’action en faveur d’un développement plus durable. »
Mesure d'impact : « Le modèle CARE, dont l’une des bases de référentiel peut être couplée - dans le cas des tiers-lieux nourriciers agissant sur et/ou avec la production agricole - à l’Indicateur de Durabilité des Exploitations Agricoles (IDEA4), pourrait être un outil à la fois complet et très exigeant pour allier les enjeux d’impact à ceux de durabilité des systèmes que nous mettons en place. »
Enjeu politique de fond : « Si l’on souhaite changer l’écriture du récit et proposer de nouveaux imaginaires, adopter des virages radicaux, il faut s’atteler à la racine. A ce qui, depuis les débuts de l’Humanité, structure nos sociétés : la monnaie d’échange et la façon de la quantifier, d’écrire ses flux. Sinon le risque est grand que toutes nos actions en matière de transitions de modèle ne soient que cosmétiques. »
Limites actuelles[modifier | modifier le wikicode]
Cette approche reste marginale : « Même s’il serait souhaitable qu’un modèle de comptabilité socio-environnementale comme CARE soit utilisé par l’ensemble des entreprises, son déploiement rencontre bien entendu à ce stade de nombreux obstacles. Non des moindres : les dispositifs financiers essentiels sont toujours fondés sur le système comptable actuel : les bases de données des fonds d’investissement, les impôts… n’ont pas recours à CARE. »
Ressources complémentaires[modifier | modifier le wikicode]
Jourdain E., Alix N. (2020). « Comptabilité et communs : l’apport de la méthode Care », Rapport d’étape Coop des Communs : https://coopdescommuns.org/fr/publication-du-rapport-detape-comptabilite-et-communs-lapport-de-la-methode-care/
Richard J., Bensadon D., Rambaux A. (2018). Comptabilité financière. Dunod.
TEK4life et la Commission développement durable du Barreau de Paris (2019). Tribunal pour les Générations Futures : Changer de comptabilité pour sauver le vivant ? : https://tek4life.eu/index.php/comptabilite-ecologique/30-septembre-2019-tribunal-pour-les-generations-futures-peut-on-subvertir-les-normes-comptables/restitutions-tgf-2019
Décryptage AVISE : https://www.avise.org/actualites/la-methode-care-tdl-un-modele-comptable-pour-preserver-les-capitaux-humains-et-naturels