Chimères de Nicole Claveloux à la médiathèque Tarentaize
Un projet d'article pour le Beau perroquet brun.
Superbe exposition Chimères de Nicole Claveloux à la médiathèque Tarentaize.
Un vieux entre à la médiathèque Tarentaize. Fatigué, il cherche à s'y asseoir pour s'y reposer, comme il le fait, souvent.
Il aperçoit au passage quelques panneaux et se dit qu'il y a une exposition. Il ne fait pas très attention, voit surgir un bébé volant, des plantes à bouches, des couleurs de carrosseries de voitures, et trouve tout cela encore plus fatiguant. Il se cale dans un siège pas trop visible en bordure de salle. Deux femmes qui s'esclaffent sur les oeuvres de Nicole Claveloux, l'artiste exposée, autrice de bandes dessinées, l'empêchent de complètement s'endormir. Sans doute viennent-elles de quelque arrondissement parisien, ou au moins du golf, ces dames.
Il se rappelle ténébreusement le nom : Nicole Claveloux. C'était de quand il lisait des journaux de bandes dessinées, de quand il était jeune. Depuis, il a vécu, longtemps, ailleurs. C'est un bon souvenir, ça le rend un peu curieux. En haut des escaliers, au long des allées qui font à l'étage le tour intérieur du grand cube de la médiathèque, il voit plein de tableaux propres et rangés. Qu'ils sont loin les spirous ! À ces pensées il retrouve un peu de forme. Au souvenir de Métal Hurlant, journal des fusées pornographiques où il avait lu des BD d'elle, il monte, il souffle, il monte. Les escaliers l'épuisent, maudits soient ces architectes qui font des monuments monumentaux ! Il trouve encore un coin pour s'assoir et récupérer, avec sur une table en désordre à coté quelques bouquins pour enfants de cette Claveloux. Ouf, se dit-il, voilà qui valait la peine. Enfin quelque chose qui ressemble à ce qu'il aime : le livre que tiennent les enfants, c'est ça la véritable oeuvre, et certainement pas ces panneaux sous verre arrangés avec leur petite étiquette explicative en bas à droite comme dans les supermarchés.
Aller voir ces panneaux, sentir le papier que Nicole Claveloux a elle-même touché, la couleur qu'elle a elle-même posée ?... Ça le déprime : lui aussi aurait aimé être un artiste. À sa jeunesse, notre petit vieux tentait lui-même quelques dessins... en vain. "J'ai raté ma vie", se dit-il. Il éprouve de la jalousie. Sa vie, il l'a passée à deux pas d'ici, à travailler pour un patron miteux de boutique, à batailler chaque fin de mois pour les banques. Au final ça a été la faillite, la fermeture. Ça lui remonte dans la gorge. Et de toutes façons, vieux comme il est, il ne peut plus lever la tête pour voir ces tableaux, placés haut sur le mur. Il faudrait être une de ces femmes qui sortent du golf avec des talons hauts, maugrée-t-il dans sa barbe rare. Il ne peut vraiment regarder que les étiquettes en bas, un comble. Il y lit que Nicole Claveloux a raconté une histoire d'Alice au pays des merveilles, aux merveilles des pays de Saint-Étienne... Il tire le cou, ne voit pas grand chose, mais ça lui fait mal. Il s'appuie contre le mur, épuisé de ne pas pouvoir explorer son propre pays. Il en a marre, se sent seul. Il s'aperçoit que, justement, il n'y a personne autour de lui. Soudain une idée lumineuse. Une impulsion, un irréfléchi. Vite, il décroche un des petits tableaux, et le fourre sous son manteau. Il le vole, il revit. Il s'éloigne vite. Se disant qu'il pourra le regarder chez lui, jouissant, que ça sera toujours ça qu'il aura pas raté. Son manteau est large, son larcin invisible. il ne se fait pas prier pour redescendre, et traverser d'un trait la médiathèque pour sortir, le vigile à l'entrée l'aide à ouvrir les portes sans se douter... il disparait par la rue Descours.
C'est pas ça qui va arranger la réputation des prolétaires de Saint-Étienne.
(Sinon... plus sérieusement, voir l'article Nicole Claveloux sur wikipédia, mézossi Exposition Nicole Claveloux - Fête du livre.)