Clockwork
Documentation du fonctionnement du coworking de Clockwork
Comment est née l'idée de monter un espace de coworking ?
Il s'agit d'une genèse lointaine.
Je viens des ressources humaines, plus précisément du conseil en organisation. Une de mes dernières missions à Paris a eu lieu dans un contexte de transformation, avec le déménagement des équipes à 2h voire 4h de route du domicile pour certains collaborateurs. L'idée de télétravail est alors née afin de trouver des solutions. Il y a eu une levée de boucliers des managers «je ne te vois pas, tu ne travailles pas » et des représentants « je ne te vois pas, tu travailles trop » avec un risque de burn out. Les collaborateurs avaient plusieurs difficultés à faire du télétravail, « je n'ai pas l'espace pour travailler, j'ai pas envie de mélanger, je n'arriverai pas à me concentrer ». Il fallait trouver une solution intermédiaire. Le télétravail n'était pas le problème mais le lieu où il se passait. Si on change le paradigme, en permettant de travailler près du lieu de domicile dans un lieu dédié, on rassure le manager, le représentant du personnel, et cela permet au travailleur d'avoir un sas entre le privé et le professionnel.
A l'époque 15 espaces de coworking avaient été identifiés. Les collaborateurs se retrouvaient pour discuter ensemble, là où dans l'entreprise ils se retrouvaient sur des sillots différents et ne se parlaient jamais.
Je voulais entreprendre depuis un moment mais sans savoir dans quel domaine. Je connaissais le coworking car j'étais un salarié nomade à la recherche d'un bureau après mes rendez-vous. A l'époque, à Paris, les coworking commençaient à percer mais il étaient difficiles d'accès et pas centraux. Dans ces espaces, on retrouvait des free lances mais peu de salariés. Il y avait des choses à faire, un lieu hybride qui soit ouvert aux salariés et aux indépendants avec des passerelles.
Je suis monté à Lille pour des raisons de fonds propres et de besoins d'espace.
Combien de personnes sont à l'initiative de cette idée ?
Moi-même et mon épouse qui m'a aidé pour le benchmark, la conception du lieu avec la recherche d'idées d'aménagement pour rendre le lieu agréable et les premiers mois pour la restauration. Tout ça après sa journée de travail. On faisait de très gros horaires au départ.
Est ce le seul service du lieu ou un service parmi d'autres ? Le cas échéant, quels sont ces autres services ?
Nous avons deux activités rémunératrices : le coworking et l’événementiel professionnel pour les journées d'étude, les formations professionnelles, les afterwork pro, lesjob dating.
Nous avons un vivier de compétences de clients et partenaires. Nous avons donc développé une offre servicielle pour de la formation professionnelle, de l'animation en soirée, en référençant les offres des coworkers que l'on connaît.
On présente l'activité des clients que l'on connaît bien. On fait rentrer les compétences et savoir faire dans une logique de référencement catalogue.
Quel est le statut professionnel que vous avez choisi pour mener à bien et pourquoi ?
La SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle), qui est un statut professionnel qui permet de maximiser ses droits au chômage. C'était essentiel pour nous, afin de me permettre de conserver une forme de revenu dans les premiers mois où l'activité n'était pas suffisante pour me rémunérer.
Côté partenariat, quand on fait intervenir des coworkers, on fait de la sous-traitance. A contrario, si les coworkers viennent avec un projet, on devient sous traitant. On est encore dans une logique de découverte, on fonctionne en intuitu personæ et en coopération.
Avez-vous posé des critères pour la localisation du lieu, le choix du local ?
- Le cœur de ville était clé pour travailler une logique de maillage de territoire en proposant une alternative au trajet domicile-travail. Le fil rouge était de rendre facile l'accès au télétravail pour qu'il devienne pérenne.
- La superficie pour les salles de réunion et l'openspace de 400m2.
- Il fallait que l'on soit en rez de chaussée avec vitrine pour encourager la passage de la porte.
- Avoir un espace aménageable aux normes PMR, non négociable chez nous,
- Un espace pour la petite restauration.
Nous avons trouvé le lieu en passant par une agence immobilière.
Comment avez-vous défini la superficie nécessaire à l'usage ?
Nous avons actuellement 400m2, contraint par notre budget en fonds propres pour cette ouverture. Idéalement notre modèle devrait avoir 650m² pour permettre la coexistence de 2 open spaces et d'une grande salle de réunion supplémentaire pour éviter des conflits d'usages entre coworkers et événementiel professionnel.
Quel est le bail de votre lieu ?
Nous avons un bail commercial 6/9
Avez-vous sollicité des partenaires au moment du montage de projet ?
On a pas eu de partenaires mais des prestataires. Chez nous les deux se mélangent vite.
Avez-vous eu recours à des aides financières ?
Non, nous n'avons pas eu recours à des aides.
Actuellement, quel est votre mode de gouvernance ?
Nous n'avons pas formalisé à ce jour de gouvernance et n'en n'avons pas vraiment ressenti le besoin, nous sommes beaucoup dans l'informel.
Côté management, beaucoup d'autonomie est laissée à chaque membre de l'équipe, chacun a ses projets "titulaires" et nous collaborons beaucoup. Dans une TPE comme la nôtre, vente, communication et marketing tendent à se mélanger et une gestion par projet est plus simple. Sur la partie vie de l'espace et service, nous nous y mettons tous à tour de rôle.
S'il fallait mettre une étiquette, nous nous rapprochons d'un modèle holocratique, et nous étudions aujourd'hui les modèles SCOP et SCIC
Pour la gouvernance avec les usagers, là aussi rien n'est formalisé et tout se fait de manière informelle et très naturelle. Nous avons quatre types de clients :
* Le coworker qui vient quasiment tous les jours ;
* Le coworker qui vient occasionnellement mais se sent néanmoins faire partie d'une communauté
* Le coworker occasionnel qui n'est que consommateur
* La clientèle B2B qui vient pour un événementiel spécifique (journée d'étude, formation,...)
Les deux premiers types de coworkers sont ceux qui sont le plus investis dans la communauté. Bien que nous n'ayons pas d'instance particulière, ils nous remontent leurs demandes, remarques, conseils autour du café et réciproquement. C'est avec eux que se nouent les partenariats et collaborations au gré des projets.
Avez-vous défini une charte et un règlement pour l'utilisation du lieu ?
On a un règlement intérieur et des CGV consultables sur notre site internet mais pas de charte d'engagement ou de valeur pour ne pas filtrer à l'entrée. L'engagement chez nous n'est pas un pré-requis.
On fonctionne dans l'informel, nous ne faisons pas signer de contrat. On est sur une vente de service, avec
la remise d'une facture à la fin de la journée, mais si une envie de collaboration émerge autour d'une discussion nous l'étudions systématiquement.
Y-a-il une équipe dédiée à la gestion administration, financière et logistique du lieu ? (ouverture et fermeture, entretien des lieux et du matériel, renseignements et réservation) ? Si oui, quel est son statut ?
Je suis dirigeant non salarié, puis il y a 2 permanents en CDI et 2 alternants pour 2 ans. Toute l'équipe fait de la communication, du E-marketing, du E-commercial.
La communication est le nerf de la guerre. On travaille en collectif sur ce sujet.
Pouvez-vous décrire comment est organisé l'espace de travail (open space, salle de réunion,...) ?
Dans l'univers du coworking on a pas vraiment de modèle bien défini, il y a pleins de modèles qui coexistent.
Nous avons un openspace, des petites salles, des salles de réunion, un auditorium, un service traiteur et le bar central pour les boissons.
Nous ne sommes pas un loueur de bureau car nos clients ont déjà un bureau ailleurs. On se présente comme un café de quartier professionnel, dans une atmosphère coffeshop, qui ne ressemble pas du tout à un bureau. Un endroit confortable, sympa avec une sélection de matériaux de qualité, dans lequel on peut travailler.
Nous avons une culture organisationnelle centrée sur l'accueil et l'hospitalité.
Quel est le matériel collectif mis à disposition des coworkers ?
Dans les petites salles, nous mettons à disposition des tableaux. Dans la grande salle de réunion, des vidéo-projecteur. Le thé et le café sont à volonté.
Comment sont financés les consommables ? Qui est chargé des achats ?
Les consommables sont intégrés dans l'offre de coworking, à l'exception des boissons en bouteilles (à la consommation) et des photocopies (prix libre conseillé).
Sur la partie événementiel, tout est facturé en fonction des devis et des besoins.
Quels sont les horaires d'ouverture de votre espace de coworking ?
Du lundi au vendredi, de 8h30 à 19h, sur privatisation le soir et le week-end
Les coworkers ont-ils souscrit un abonnement à l'espace ? Si oui, comment avez-vous défini les tarifs ? Quels sont les éléments que vous avez pris en compte dans le calcul ?
Le coworking est sans réservation avec un tarif à l'heure de 5 euros et 25 euros la journée (12,50 euros pour les étudiants et demandeurs d'emploi)
Nous avons fait le choix de ne pas faire d'abonnement, mais de proposer un forfait prépayé sans limite de temps pour s'adapter à la demande fluctuante pour les besoins ponctuels et semi ponctuels. Si tu ne viens pas, il n'y a pas de coût. On s'adapte à la demande plutôt que l'inverse.
Nous avons un bon positionnement traiteur et location, qui permet de garder une partie du budget pour monter en gamme et faire intervenir des formateurs.
Si j'avais un conseil à donner aux personnes qui souhaitent se lancer : Il est difficile de faire vivre un business model sur une activité de coworking, qui est peu rentable. Elle doit être complémentaire. Soit tu ne payes pas de loyer, et ça peut aller soit tu payes un loyer et tu entreras à peine dans tes frais car il faut tenir compte de la masse salariale, des frais d'énergie qui augmentent et des consommables.
Pour notre part, 2/3 de notre CA vient de l'événementiel pro et pourtant le coworking se porte plutôt bien.
Quelle est la fréquentation des lieux ?
Nous comptons 3 000 coworkers dans notre base de donnée avec un cœur de réacteurs de 400/500 coworkers.
La proportion est d'1/3 salariés (entreprise de + de 10 salariés) et 2/3 entrepreneurs.
Combien d'entre eux y travaillent chaque mois ?
Sur un mois normal entre 800 et 1500 personnes. Les jours de plus forte fréquentation pour l'événementiel professionnel, sont les mardi et les jeudi, et pour le coworking, les lundis après-midi et les mercredis mais c'est très variable.
Quels sont les différents profils des coworkers ?
C'est hyper variable, nous avons tous types de profils. En ce moment nous avons un peu plus d'étudiants qui viennent. Il y a des métiers plus représentés que d'autres, comme les métiers de la formation, du coaching. On a pas envie de se spécialiser, cela nous convient que ce soit diversifié, c'est même un objectif ! En effet, nous voyons notre écosystème comme un vivier de compétence que nous pouvons mobiliser sur des projets, vers qui nous pouvons orienter les demandes de conseils, les recherches de prestataires, etc. Quelques exemples concret : nous avons besoin d'un prestataire yoga du rire pour un séminaire et n'en connaissons pas, en 2 ou 3 cafés autour du comptoir nous en trouvons 2. Quand nous lançons une expérimentation avec la Mission Locale sur l'accompagnement d'une vingtaine de jeunes, en 2 semaines autour du comptoir nous trouvons 90 volontaires pour un mentorat bénévole.
Tout cela n'est possible que si notre écosystème est riche et diversifié, le plus de monde vient chez nous, le plus il y a de mouvement, et le plus d'opportunités en découlent.
Avez-vous vu naître des projets collectifs de la rencontre des coworkers ?
Oui mais j'ai parfois du mal à savoir si c'est grâce à nous car certains coworkers se connaissaient avant de venir. On prend le temps de connaître nos coworkers ce qui nous permet de faire la mise en relation mais on n'a pas la possibilité de suivre le projet jusqu'au bout.
Avez-vous mis en place de la documentation sur le fonctionnement de votre lieu ?
Nous avons de la documentation interne, pour faciliter le onboarding des nouveaux salariés et présenter le modèle à des partenaires financiers.
Faites-vous partie d'un réseau avec d'autres espaces de coworking ? Si oui, y a-t-il des temps de réflexion et de mutualisation de moyens entre vous ?
On a rejoint la Compagnie des tiers-lieux avant l'été. Synaphe aussi pendant quelques temps. A titre personnel, on discute avec des espaces pour le projet d'insertion professionnel. Il y a une dizaine d'espaces avec lesquels on discute un peu plus. Pour le moment on ne travaille pas ensemble mais un jour, avec une bonne opportunité on pourrait.
Il y a une réflexion à la Compagnie sur la formation. Si on se structurait tous ensemble pour faire des catalogues de services, on aurait une vraie capacité à monter.
Proposez-vous de l'accompagnement pour un collectif qui souhaiterait se lancer dans la création d'un espace coworking ?
Pas à ce jour, mais si un projet voit le jour avec la compagnie, j'y suis assez ouvert. Je ne vois généralement pas les autres coworkings comme des concurrents mais des partenaires potentiels, notamment sur les projets que nous souhaitons développer à l'avenir
Si vous aviez un conseil pour se lancer ?
- Bien comprendre son marché :
* Le Coworking est un marché non mature et protéiforme, beaucoup de modèles existent et de nombreux espaces se sont cassés la figure faute d'équilibre économique.
* Par nature, le coworking est un marché de la sous-traitance immobilière, sa concurrence naturelle c'est le bail commercial 3/6/9.
* En découle des clientèles types : l'indépendant ou la TPE qui ne souhaite pas ou ne peut pas s'engager sur un bail immobilier dans la durée / une clientèle d'entreprise suffisamment fortunées pour se payer le "Luxe" de ne pas s'embêter avec les services généraux et l'office management pour un tarif premium incluant votre service (et sa marge)
- Bien étudier son business modèle :
* Le coworking est par nature un métier de sous-location assez peu rentable, sauf à le vendre à prix premium à une clientèle fortunée
* Il est conseillé de prévoir plusieurs canaux de revenus pour assurer sa rentabilité (chez nous cela prend la forme de l'événementiel professionnel)
* Le foncier et le loyer sont les premiers postes de dépense. Il peut être tentant de chercher à faire baisser ce poste par de la subvention ou de la mise à disposition par une collectivité, mais il est alors important à bien faire attention car le risque est grand de se retrouver dans le champ de la concurrence déloyale. C'est un classique et le Synaphe (syndicat professionnel du coworking et des centres d'affaires) agit sur ce sujet. Le risque juridique est important, il est nécessaire de bien réfléchir à la différenciation (bénéficiaires, services, etc.) qui justifie le financement public.
- L'économie de la fonctionnalité c'est génial !
* La logique de l'EFC permet de transformer le rapport aux services, aux clients, à l'argent. Le principal changement de paradigme à mon sens est l'évolution de la relation client / prestataires vers une relation partenariale.
* Les coworkings et tiers lieux sont par nature proches des modèles de l'EFC, il est nécessaire d'identifier les sources de valeur qui sont générées par votre lieux pour en permettre une monétisation dans un modèle gagnant / gagnant avec vos clients et partenaires. Sortir du modèle où on sous-loue vers un modèle où on construit. Par exemple un lieu dédié vers les praticiens du bien être qui va proposer à ses locataires de construire ensemble un catalogue de prestation et de le commercialiser ensemble (la location reste une source de revenue pour le lieu, mais l'offre partenariale qui en découle permet d'apporter une source de revenu complémentaire et substantielle à la fois au locataire et au lieu lui-même).
- Écouter ses usagers et être à l’affût des partenariats.
- Tester le plus rapidement son projet avec la stratégie des petits pas, rencontrer, mobiliser, demander, faire son benchmark, prendre son bâton de pèlerin. Il ne faut pas avoir un plan trop défini pour se
laisser une marge de manœuvre et il faut rentrer le plus vite possible dans le concret. La première chose à faire, c'est identifier son offre et ses clients, puis aller les rencontrer pour vérifier que ce qu'on pense vendre les intéresse. Contrairement à une idée reçue, on peut commencer à commercialiser son offre avant de l'avoir créée, c'est même très apprécié des financeurs (les banques en premier chef) qui sont rassurés de voir qu'un marché existe effectivement.